- chris a écrit:
- C'est hallucinant cette mentalité. Avec les outils actuels c'est l'évolution logique après le dessin et le plan 2D.
Là on touche aux conséquences de l'apparition de ces outils numériques, qui permettent de faire des copies ou des reproduction sans perte d'information. Cette révolution a fini par réveiller la conscience de propriété intellectuelle ou industrielle qui ne s'appliquait auparavant que sur les produits manufacturés ou les livres imprimés.
Concernant les plans, il est toujours autorisé et parfaitement légal de réaliser à titre individuel une maquette ou un dessin 3D d'après des documents d'archives ou officiels. Mais dès lors qu'on les propose en diffusion (don ou vente), la plupart des sites d'archives (NMM anglais, NARA américain, SHD français avant sa disparition, etc...) mentionnent que c'est soit interdit, soit soumis au paiement de royalties.
Ce n'est en aucun cas une exception française.
Essayez donc de commercialiser une maquette de n'importe quel paquebot de l'ex CGT, à présent French Lines : vous aurez droit à ce même genre de courrier. BlueRidgeModels en a fait la triste expérience avec son Normandie qui leur a coûté cher en royalties... payables d'avance.
On se rappellera Tamiya, en son temps, qui n'a pas pu commercialiser la peinture "rouge Ferrari" because copyright. Ils ont sorti une peinture rouge quasi identique, mais sans mentionner la marque.
Idem pour la fondation Cousteau qui garde jalousement la "marque" Calypso, sans parler des produits du monde de Tintin.
Dernier avatar. la marque polonaise Arma Hobby. Pour leur excellent kit du Grumman F4F Wildcat tout récent, il est précisé :
- Remarks: Grumman Wildcat is a trademark Northrop Grumman Systems Corporation and is used under license by Arma Hobby
- Remarques : Grumman Wildcat est une marque déposée de Northrop Grumman Systems Corporation et est utilisée sous licence par Arma Hobby.
Incroyable, non ? On n'aurait jamais imaginé ça pour le Wildcat qui fait pour ainsi dire partie de notre patrimoine historique mondial.
J'y vois la conséquence prévisible de l'évolution du marché de la maquette depuis 50 ans. D'un hobby confidentiel et vu avec condescendance dans les années 1960 (un passe-temps pour ado attardé) on est passé à un secteur économique, certes toujours confidentiel, mais de diffusion mondiale et les grandes compagnies s'y intéressent vraiment... pour faire de l'argent. On est d'accord ou pas avec ce modèle de société, mais c'est désormais une réalité.
Dans le même temps les grandes entreprises, désirant devenir plus rentables en taillant dans le superflu, disent à leur service d'archives : "vous ne nous êtes pas utiles, vous ne produisez pas de valeur, soit vous vous autofinancez, soit on vous élimine".
Et pas que. En 2012 j'avais demandé à Michel Ledet, l'éditeur de Lela Presse, s'il était possible de faire en sorte que sa revue Navire et Histoire soit aussi disponible sur abonnement sous forme de fichier PDF à télécharger (j'avais un gros problème de place!). Sa réponse a été "Certainement pas, à la minute où je mettrai à disposition ces pdf, même sécurisés par mot de passe, ils partiront dans la nature, seront piratés à grande échelle, j'aurai bossé pour rien et dans quelques années je n'aurai plus qu'à fermer ma boîte".
Je me souviens d'une journée de formation "éducation nationale" en 2015 consacrée à l'impression 3D. un ingénieur nous décrivait la technologie, les évolutions possibles et l'intérêt de la technique.
Pour ce dernier il a pris un exemple : il avait cassé accidentellement la boucle en plastique de la bretelle de son sac à dos. Il nous a expliqué qu'il avait alors dessiné puis imprimé une boucle de rechange fonctionnelle. Puis il nous a dit qu'il avait mis son dessin en accès libre pour une utilisation par chacun de nous, en classe notamment.
A ce moment j'ai pointé que, ce faisant, il violait la propriété industrielle du fabricant et, pire, qu'il renforçait auprès des gamins l'idée que tout est gratuit et n'appartient à personne. Auprès des jeunes qui piratent sans le moindre scrupule CD, DVD, Logiciels, etc... ce discours ne pouvait qu'être efficace.
Il se trouvait qu'à l'époque j'étais en relation avec l'un de mes anciens élèves, prof de technologie comme moi, et qui était "monté dans la hiérarchie", faisant partie du pool chargé d'établir les nouveaux programmes pour le collège (réforme Hollande) toujours en vigueur. Il était passé par l'industrie et était parfaitement d'accord avec moi. Je suis fier d'avoir été influenceur sur ce qui est devenu l'une des compétences du cycle 4 (5e à 3e) : notion de propriété industrielle et intellectuelle.
- Yoann gui a écrit:
- Purement français j'ai envie de dire, on peut en dire autant de la numérisation d'archives etc, toujours 30 ans de retard...
FAUX : j'ai été le témoin involontaire de la mise en route du serveur de plans de la Marine Nationale en 2004, étant à cette époque impliqué dans des visites fréquentes au CAA de Châtellereault. Car si ce site est étiqueté SHD il faut reconnaitre que l'initiative a été prise au CAA qui en dépend.
A l'époque il s'agissait du
premier centre d'archives au monde qui décidait de diffuser des plans en libre accès sur le net. J'en sais quelque chose, étant "client" du NARA américain et de l'Imperial War Museum anglais depuis 1975.
Le site du CAA est tombé, à mon avis, victime de sa philosophie de départ : un accès libre et gratuit accompagné d’avertissements et de surveillance pour interdire la reproduction et la vente de ces plans sans autorisation préalable. Une position bien naïve que j'avais pointé à l'époque : on m'avait répondu que le CAA n'avait pas la compétence pour collecter de l'argent, ni le budget pour développer l'affaire.... service public.
Dans l'année qui a suivi la plupart des plans se sont retrouvés sur un tas de site étrangers, hors de contrôle du CAA, puis le site a été finalement hacké, mis en sommeil le temps de trouver une solution de sécurité. Enfin les coupes budgétaires ont fait le reste. Pendant un temps il a été question de passer les archives militaires sous la responsabilité du Ministère de la Culture, à l'instar des Archives Nationales, mais le projet a été refusé.
Les archives étrangères ont suivi deux à trois ans après... avec une optique privée d'autofinancement.
La base de donnée du NMM anglais (Greenwich) est fantastique, mais géré par un "Board" privé sous délégation de la RN et l'achat d'un plan coûte un bras... tout en étant accompagné d'une mention "pour utilisation strictement personnelle". Les éditeurs comme Seaforth qui sortent de magnifiques ouvrages avec reproduction en couleur des plans de la RN acquittent un droit de publication. En clair, le service du NMM s'autofinance avec la vente des plans sans dépendre de subvention publique.
Les archives américaines du NARA fonctionnent sous la loi US qui garantit l'accès libre et gratuit aux documents publics. On peut donc diffuser ces plans librement mais je n'ai pas réussi à déterminer si leur usage commercial (vente ou utilisation pour concevoir un kit commercial) est gratuit.
Cependant toutes les archives privées (celles des constructeurs) ont pris conscience que leur survie passait par la marchandisation de leur contenu, avec autorisations, royalties et ventes qui en découlent. Ainsi de Boeing, Lockheed, etc... Seule la NASA, service public, reste entièrement gratuite.
Depuis une vingtaine d'années les différentes archives mondiales sont confrontées aux mêmes problèmes amenant les mêmes options :
1- Numériser tout ça. Rien qu'au CAA il y a plus de 57 km linéaires de cartons d'archives... les numériser couterait très cher en temps, personnel et espace serveur.
2- Conserver/ diffuser tout ça : il faut des locaux, du personnel, des serveurs, un budget... et là, les établissements publics sont très mal barrés.
3- Détruire les archives "trop vieilles" et non essentielles (les plans de bateaux ?) pour se recentrer sur de la doc plus "utile"
Le point 3 vous fait bondir comme moi ? sachez qu'il revient régulièrement sur la table.
_Bruno