Bonjour,
Comme ils disent chez Peugeot : "jamais trois sans quatre"
, donc en voici un nouveau, l'
OrpharionIl s'agit d'un instrument à cordes, cousin du luth, et propre à l'Angleterre de l'époque du règne d'Elizabeth 1.
Pour une fois la chronique atteste de sa date de naissance : le premier exemplaire fut inventé et offert à Sa Majesté par le facteur très renommé John Rose en 1581.
Le nom est une contraction d'Orphée et d'Arion, poètes de l’antiquité grecque.
Voici une photo de l'instrument de John Rose, actuellement propriété de Lord Tollemache et que j'ai pu obtenir de son musée :
L'instrument est une version plus petite de sa grande sœur, la
Bandora (ou Pandora), inventée par Rose en 1561 et qui devint vite populaire dans les châteaux et les grandes maisons anglaises.
L'orpharion possède 7 paires de cordes + 1, plus tard 8+1 et est accordé exactement comme un
luth. Il va devenir assez populaire puisque dans les inventaires des instruments en possession des "maisons" de l'époque ou va trouver la proportion d'un
orpharion pour deux luths.
La Bandora deviendra aussi un instrument de basse incontournable dans la musique de théâtre (Shakespeare) de l'époque.
Ici un exemple musical de ce qu'était le "
broken consort", l'ensemble typique Élisabéthain :
https://www.youtube.com/watch?v=f2yqxneZJoU
On y entend : le violon à la première voix, la flûte traversière à la deuxième, la viole de gambe à la basse et trois instruments à corde : le luth qui "tricote" des variations virtuoses pour pimenter la pièce, la bandora qui joue la basse et le cistre qui assure la rythmique par des accords plaqués.
Dans cet autre exemple on peut voir les instruments du broken consort mais, hélas, la prise de son est dégueu...
https://www.youtube.com/watch?v=Z1DozHqd4CE
Sous la Révolution de Cromwell, au XVIIe Siècle l'orpharion et la bandora vont disparaitre complètement, balayé par la mode baroque à laquelle seul le luth va pouvoir s'adapter.
Le répertoire de l'orpharion est le même que celui du luth : un répertoire immense à l'époque et qu'on rejoue depuis une trentaine d'années seulement.
Il a un "grand frère", ou plutôt une grande sœur, la
Bandora, une version basse un peu plus grande. J'en parle ici car en 1994 j'ai construit en même temps les deux instruments (des commandes de deux amis musiciens normands). La Bandora, elle, a survécu sous une autre forme, la
Bandouria portugaise car elle était idéale pour un instrument de basse.
Dès son invention, l'orpharion a été copié, imité et amélioré. En effet les cordes métalliques posaient un problème à cette époque : le
diapason (la longueur vibrante à vide) ne devait pas dépasser une certaine taille, faute de quoi la chanterelle (la corde la plus aigüe) en laiton aurait cassé sous la tension. Mais à l'opposé, les quatre cordes les plus graves étaient trop courtes pour sonner de façon harmonieuse.
Au début du XVIIe Siècle cependant les métallurgistes de Nuremberg mirent au point un alliage à base de fer qui donnait une résistance plus grande. L'invention fut aussitôt incorporée dans l'instrument et les facteurs inventèrent une disposition du sillet, des frettes et du chevalet "en éventail" pour combiner ce nouvel alliage sur la chanterelle et des cordes graves en cuivre tressé les plus longues possible.
Un bel exemple est l'orpharion construit en 1615 par Francis Palmer et conservé à Copenhague :
A l'époque de ma fabrication (1994) internet n'existait pas encore pour tout le monde et je n'avais comme sources que ma correspondance avec des luthiers et musicologues anglais, en particulier Peter Forrester qui a été d'une gentillesse inespérée en me guidant dans ma reconstitution. Le musicologue Ephraim Segerman m'a été d'une grande aide par ses études organologiques dans le cadre du FoMRHI et aussi pour me fournir les jeux de cordes réalisés d'après les originaux d'époque.
Je me suis donc lancé simultanément dans la réalisation d'une bandora et d'un orpharion, et "re-concevant" ces modèles d'après les originaux, les gravures et les études. Il ne subsiste aucun exemplaire de la bandora de nos jours.
Le dessin de la table de l'orpharion. Cette forme "en nuage", n'est pas anodine car elle permet à la caisse plate de l'instrument de ne pas se cintrer sous la grande tension des cordes métalliques. Le dessin du contour fait appel à des "jeux numériques" très prisés à la Renaissance. Le principe : à partir d'une longueur de départ (le diapason ou longueur de la corde à vide) on dessine en utilisant des dimensions déduites en appliquant au diapason les proportions correspondant aux intervalles de la gamme. Ainsi on va utiliser le tiers, la moitié, les deux-tiers, le douzième, etc... de cette longueur pour dessiner et ces "nombres" seront cachés dans le résultat final. Aucune utilité acoustique, juste un jeu de l'esprit :
Une fois cette forme déterminée on bâtit les éclisses (les côtés de la caisse) en courbant au fer des lattes de noyer de 2mm d'épaisseur.
Le chantier de cintrage avec le fer à courber (décrit plus haut avec le luth) :
Les éclisses en cours de montage :
Sur cette image on voit les éclisses jointées à la tête de la caisse. On distingue le bloc de sapin sur lequel va venir s'ancrer le manche de l'instrument :
Pour garder sa forme d'ensemble, le montage est collé provisoirement avec quelques points de colle d'os autour d'une "fausse table" en contreplaqué :
A présent on va s'attaquer au fond de l'instrument. Celui-ci n'est pas vraiment plat mais plutôt bombé en forme de "cloche" : un renflement central mais le fond est plat tout autour. Ici j'ai utilisé la méthode traditionnelle : les côtes qui forment ce fond sont cintrées en trois dimensions sur un moule fabriqué en contreplaqué et les vides comblés par de la mousse expansée d'isolation.
Cette forme sert d'abord à tracer les gabarits des côtes. Ici l'orpharion au fond, la bandora au premier plan :
Les côtes sont découpées (noyer et érable ondé, convergent vers l'extrémité du manche pour guider l’œil vers celle-ci), puis cintrées :
Elles sont provisoirement assemblées avec de l'adhésif de masquage et l'ensemble est fixé sur un cadre en contreplaqué :
Le cadre est ensuite retourné, donnant accès à l'intérieur du fond. Les côtes seront jointées comme pour un luth en collant des bandes de papier kraft :
Enfin le fond est collé aux éclisses tout autour avec la technique déjà présentée d'encollage puis reprise au fer à repasser et pattemouille. Remarquez les tasseaux de pression qui correspondent à chaque étape du chauffage :
Après séchage on n'a plus besoin de la fausse table collée à l'intérieur. Un petit coup sec sur ses points de collage (la colle d'os en épaisseur est cassante), elle se sépare et est retirée de la caisse.
Ensuite vient le manche : il est taillé dans un bloc unique de poirier, un bois qui se prête admirablement à la sculpture. En effet j'ai choisi de représenter en tête de manche une effigie de son futur propriétaire, comme c'était la mode au XVIIe Siècle. Une demande de photomatons, quelques gouges de sculpteur et en avant :
Pour résoudre esthétiquement le problème de l'absence d'épaules du personnage (le cheviller étant très étroit) j'ai opté pour une belle fraise d'époque :
Ajustage du manche et assemblage. A l'époque le luthier consolidait l'assemblage en enfonçant un gros clou de fer chauffé au rouge à travers le bloc de l'intérieur de la caisse. J'ai préféré mettre deux vis à bois :
La table d'harmonie à présent. Cela commence comme pour une table de luth, deux planchettes d'épicéa sur quartier, symétriques et collées selon l'axe de l'instrument puis amincies à environ 1,6-1,8 selon l'endroit pour favoriser telle ou telle fréquence :
Ensuite le barrage est tracé en éventail en partant d'un point fixé sur l'établi. La géométrie des frettes sera tracée sur la touche de la même façon (voir plus loin).
On remarque la rose qui va venir s'incruster sur la table, dans la tradition élisabéthaine.
Les roses de cette époque, très élaborées, sont constituées d'un motif découpé dans une plaquette de poirier de 1,5mm d'épaisseur. On colle dessus le dessin, puis on perce un petit trou au centre de chaque alvéole pour passer la lame de la scie vibrante électromagnétique. Ici, à gauche l'orpharion, à droite la bandora. En réalité il y a deux épaisseurs de poirier car j'en ai profité pour découper deux roses de chaque pour de futurs instruments :
La rose de la bandora après découpage. L'envers (avec le papier) :
L'endroit :
Ensuite, après ébavurage et polissage on colle sur l'envers un disque de parchemin (peau de mouton tannée) qui est découpé alvéole par alvéole à l'aide d'un scalpel et deux emporte-pièces de 1,5 et 1,8mm.
L'orpharion :
La bandora :
Comme pour la guitare la rose va être cerclée d'un filet double incrusté dans la table. La raison en est mécanique : le poirier de la rose, plus dense que l'épicéa de la table, va rester stable quelque soit l'humidité ambiante alors que l'épicéa, lui, va se dilater ou se contracter : le filet sert à contraindre la table pour ne pas qu'elle se fende.
Revenons au barrage. A gauche celui de la bandora, achevé. A droite celui de l'orpharion, ébauché avant collage :
Ensuite chauffe aux infrarouges de la table pour la contracter en largeur, puis collage des barres :
Mise en forme des barres (hauteurs, chanfreins) sur l'orpharion :
Et voilà, la table est -presque terminée :
A présent, de l'autre côté, collage du chevalet (qui reçoit les cordes) :
Ici j'expérimente une nouvelle façon de presser le collage en arcboutant des tasseaux de chêne entre le montage... et le plafond ! J'ai trouvé cette tradition en consultant le volume sur les métiers de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, mais aussi dans le "Dom Bedos", l'énorme bouquin "l'Art du Facteur d'Orgue" écrit au XVIIIe Siècle par Dom Bedos de Celles et qui est encore la bible de tous les facteurs d'orgue :
L'instrument est tablé (même méthode que pour le luth) puis un double filet est incrusté tout autour de la table pour bloquer les fentes éventuelles :
La touche est fabriquée dans une planchette de prunier. Les emplacements des frettes "en éventail" sont tracés puis sciées et les frettes en laiton sont incrustées. L'espacement des frettes ne suit pas le tempérament égal moderne (tous les demi-tons sont égaux) mais une règle en vigueur en Angleterre vers 1610 appelée "règle des 16/18e" qui va favoriser les tierces "justes" :
Il reste à tourner un certain nombre de pièces. Tout d'abord de petits boutons en buis qui vont servir d'accroche pour la bretelle :
Enfin les nombreuses chevilles tournées en prunier :
Ensuite vernissage à la gomme laque au tampon (huit couches) :
L'instrument est cordé, stabilisé puis accordé. On termine par une petite séance photo avant livraison :
Et pour finir une anecdote amusante : lorsque j'ai présenté la bandora à son commanditaire, le fils de celui-ci, 4 ans à l'époque, a regardé longuement l'instrument, observé la tête sculptée... a caressé le crâne et s'est exclamé "papa !" :
Voici quelques liens pour entendre le son des ces instruments :
Orpharion :
https://www.youtube.com/watch?v=xHNMSeEhqNQ
Bandora (par un clone de Johnny Depp !) :
https://www.youtube.com/watch?v=ad9dgsMXxrI
Voili-voilà
_Bruno
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Hi Bob!
C'est curieux chez les marins ce besoin de faire des phrases
Si Vis Pacem Parafilmum
La sous-couche, c'est un apprêt que l'on met avant
Si on bricolait plus souvent on aurait moins la tête aux bêtises
Omnes stulti, et deliberationes non utentes, omnia tentant
Une journée au cours de laquelle on n'a pas ri est une journée perdue
Espérons que le fond de la mer est étanche
Oh, ça c'est le Quacta qui se moque du Stifling
Telle est la Voie !